Avertissement : cette critique contient des spoils et autres éléments de l’intrigue qui pourraient, une fois révélés, gâcher le plaisir du futur spectateur.
Mamoru Oshii, au gré de ses films, a fini par créer une œuvre à la fois contemplative et introspective, où le fond et la forme expriment le mal-être de personnages en quête d’un sens à leur vie.
Avec The Sky Crawlers, son dernier film en date (sorti directement en vidéo en France), il ose un parti pris qui peut s’avérer intolérable pour celui qui s’attendait à y retrouver les codes familiers du cinéma. Dans une volonté d’épure jusqu’au-boutiste, Oshii fait abstraction d’un scénario solide, prolongeant des séquences vides au-delà du raisonnable. Son audace, c’est de faire du temps qui passe le vrai personnage de son film. Le malaise ressenti par le spectateur devient alors le reflet de l’ennui, de la mélancolie et de la perdition de jeunes pilotes perdus entre Ciel et Terre, complètement déconnectés d’eux-mêmes.
Dans un monde où la guerre n’existe plus, une nouvelle forme de spectacle est proposée aux foules : des combats aériens entre différentes compagnies. Cette guerre « factice », largement retransmise à la télévision (dans une atonie quasi générale), est menée par les Kildren, des enfants qui ne grandissent pas. Ces êtres sont programmés pour s’entretuer et mourir en vol, puis être remplacés comme de vulgaires machines.
Leur incapacité à accéder à des souvenirs à moyen et à long terme les confine à un statut d’enfant docile, obéissant, dont la seule valeur « marchande » repose sur d’extraordinaires compétences au vol. Le reste ne compte pas, n’existe pas, n’a aucune raison d’être. Les Kildren sont des coquilles vides. Et le film, avec un aplomb sidérant, défile devant nous à travers ce prisme et ce point de vue inhumain. Comme dans Ghost in the Shell, le réalisateur met le doigt sur les connivences entre la mémoire et la personnalité. Incapables de se remémorer d’où ils viennent (et pour cause), les Kildren sont voués à répéter éternellement les mêmes gestes, les mêmes erreurs, puisqu’ils ne peuvent apprendre et évoluer. Ils sont figés à jamais dans le présent.
Pourtant, deux personnages sortent du lot. Il y a Kannami, le pilote nouvellement arrivé, et sa supérieure hiérarchique, Kusanagi (qui porte d’ailleurs le même nom que l’héroïne de Ghost in the Shell). Eux en savent plus qu’ils ne devraient. Et ce savoir, loin de les libérer, va les confronter avec une angoisse palpable à l’horreur de leur condition. Malgré tout, Oshii clôt son film sur une note d’optimisme, juste après le générique de fin.
The Sky Crawlers est donc tout sauf un film grand public, et l’on peut comprendre qu’il n’ait pas bénéficié d’une sortie en salles dans l’hexagone. Le réalisateur continue d’explorer ses thèmes de prédilection tout en faisant un pied de nez aux canons du genre et en désamorçant méticuleusement tout ce qui aurait pu ressembler de près ou de loin à un climax (sauf rares exceptions). Une démarche qui, c’est certain, ne plaira pas à tout le monde, mais qui pourrait bien faire chavirer le cœur de ceux qui se laisseront transporter dans ce voyage au-delà du néant, romantique au sens noble du terme, et à la lisière de l’expérimental.
Mise à jour (19 février 2010) :
Pour contrebalancer le sérieux de mon article, je ne peux m’empêcher de vous inviter à lire cette désopilante chronique qui exprime à merveille mon ressenti concernant l’incroyable foutage de gueule de la « promo » faites par Wild Side autour du film. Mention spéciale pour la bande annonce, à se pisser littéralement dessus (pour ceux qui ont vu le film bien sûr).
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